Emmanuel Macron cherche à capter l’électorat de Droite en faisant de la sécurité un thème de campagne. Mais, compte tenu de l’absence de doctrine claire de sa majorité sur ce sujet, il n’est pas certain qu’il remporte son pari, estime Jérôme Durain, sénateur de Saône-et-Loire, spécialiste des questions de sécurité.
Cap Finistère : Comment interprètes- tu la séquence sécuritaire d’Emmanuel Macron marquée par son interview au Figaro et son déplacement à Montpellier ?
Jérôme Durain : Je vois deux aspects. D’abord, une dimension politique et stratégique dans la perspective de la Présidentielle de 2022. Emmanuel Macron utilise le thème de la sécurité comme un moyen pour aller chercher les voix de Droite. Ça va de pair avec la remise sur le devant de la scène de la laïcité, avec des états généraux montés en quelques jours et dénoncés par la quasi- totalité des associations qui travaillent sur cette question. Sans oublier la loi sur le séparatisme ou celle de sécurité globale.
Voilà pour l’affichage. Mais en réalité, la politique de sécurité de cette majorité se caractérise surtout par la confusion et l’amateurisme. On voit apparaître des initiatives, comme des générations spontanées, sans la moindre logique ou cohérence. Voilà qu’on nous annonce par exemple une LOPSI 3 (Loi de Programmation de la Sécurité Intérieure).
On voit bien que les syndicats de policiers les plus radicaux dictent leurs revendications au pouvoir qui refuse de prendre en compte et de traiter la question des excès commis par certains fonctionnaires de police.
Cap Finistère : La loi de sécurité globale qui vient d’être adoptée pourra-t-elle améliorer les conditions de travail des forces de l’ordre ?
Jérôme Durain : Non, nous ne le pensons pas et nous avons même saisi le Conseil constitutionnel pour la censurer. Que reprochons-nous à cette loi ? D’abord, la dérive qui consiste à confier aux polices municipales des compétences qui doivent rester du ressort de la Police nationale. Il faut bien avoir conscience que dans certaines villes, en particulier dans le sud de la France, les polices municipales sont mieux équipées que la Police nationale.
Si on n’y prend pas garde, on risque de voir se développer une sécurité à plusieurs vitesses en fonction de la commune dans laquelle on réside.
Pour nous, la police municipale doit s’occuper de la tranquillité au quotidien et faire de la médiation.
Ensuite, tout le monde peut constater un recul des libertés publiques sous ce quinquennat. Au point que des soutiens de la première heure du président de la République ont pris leurs distances et critiquent vertement cette dérive. On a vraiment l’impression que ce gouvernement s’aligne sur les positions des organisations syndicales les plus droitières. Ça se traduit par l’idée que tout manifestant, est, par principe, un délinquant « par destination » qu’il convient de ficher, de surveiller et de réprimer.
Nos arguments pour demander au Conseil constitutionnel de censurer 16 articles de cette loi portent essentiellement sur deux aspects : la confusion entre Police nationale et police municipale d’une part, et les atteintes aux libertés publiques avec l’utilisation des images captées par des drones ou des caméras de vidéosurveillance.
Cap Finistère : Les travaux du Beauvau de la sécurité ont-ils encore un sens dans ce contexte ?
Jérôme Durain : C’est un vrai coup de com’ pour le gouvernement et en particulier pour le ministre de l’Intérieur. Celles et ceux qui s’attendaient à des débats sur le rôle de la Police, sur les liens à renouer avec les citoyens, vont en être pour leur frais. Il s’agit en fait d’une sorte de comité technique hygiène et sécurité amélioré, où le dialogue social est scénarisé et mis en scène. C’est clairement « Ici Beauvau, les policiers parlent aux policiers ». Où sont les associations ? Où sont les citoyens ?
Il ne faut pas en attendre grand-chose, sauf, éventuellement, pour les conditions de travail et les rémunérations des policiers. L’État doit bien sûr se préoccuper des conditions de travail des policiers et des gendarmes et les améliorer. Mais fallait-il toute cette mise en scène ? Car, pendant ce temps, on ne pose pas les vraies questions qui sont : Quelles missions la France assigne-t-elle à sa Police ? Comment remettre la Police de la République au milieu des citoyens ?
Article publié dans le Cap Finistère n°1355 du 14 mai 2021
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