Une longue tradition d’échanges
Compte tenu de l’histoire des relations entre la Bretagne et la Grande-Bretagne, notre région est particulièrement concernée par les discussions qui se tiennent en ce moment à Londres sur le Brexit. Car, comme nous le rappelle l’historien Joël Cornette, auteur de Histoire de la Bretagne et des Bretons (Seuil), les destins de la Grande-Bretagne et de la Bretagne armoricaine sont intimement liés.
Cap Finistère : Historiquement, la Manche doit-elle être considérée comme un lien ou comme une barrière, entre la Bretagne et la Grande-Bretagne ?
Joël Cornette : Les premières mentions de l’Armorique et de ses habitants remontent à 500 avant JC. On les doit au navigateur carthaginois Himilcon qui présente ses habitants comme « courageux, altiers, industrieux et fort adonnés aux soins du commerce ».
Dans ses commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César décrit les Vénètes, tribu gauloise vivant dans l’actuel Morbihan, comme « le peuple de beaucoup le plus puissant de toute cette côte maritime. Il est supérieur aux autres par sa science de la navigation. (…) presque tous ceux qui naviguent dans ces eaux sont leurs tributaires ». L’historien grec Strabon précise que « les Vénètes livrèrent à César une bataille navale dans le dessein de l’empêcher de passer en Bretagne avec ses navires, cette île leur servant de marché ». Déjà.
C’est entre les IVe et VIe siècles que la péninsule armoricaine se peuple de Grands-Bretons, qui traversent la Manche sous la pression des Angles et des Saxons. On retrouve, aujourd’hui encore, des traces de cette migration dans la toponymie de la région, notamment avec tous les noms de communes commençant par « Plou ». On n’en trouve aucune autre trace en Gaule. En revanche, on en dénombre plusieurs au Pays de Galles ou dans le Cornwall. Les saints bretons, et en particulier les sept saints fondateurs, viennent tous d’Outre-Manche.
Enfin, la Bretagne ducale s’est toujours appuyée sur l’Angleterre pour contrer l’hégémonisme de la France. Il a même été envisagé de marier Anne de Bretagne avec le roi d’Angleterre.
Il apparaît donc que la Manche constitue plus un lien qu’une barrière.
Cap Finistère : Peut-on dire que le commerce entre les deux rives de la Manche a favorisé l’activité économique de la Bretagne ?
Joël Cornette : Les XV, XVI et XVIIe siècles constituent l’âge d’or de la Bretagne. Sur les 2 000 kilomètres de la côte bretonne, on comptait, au XVIe siècle, environ une centaine de ports actifs. À son apogée, la flotte de commerce bretonne rassemblait environ 2 000 navires, de taille modeste pour la plupart. Les Bretons doivent leur prospérité au commerce maritime et, en particulier, celui des toiles fabriquées dans la région de Locronan ou dans le Léon. Elles servaient à faire des voiles de bateau ou des chemises. La Grande-Bretagne n’était pas leur unique destination puisque les bateaux bretons étaient présents dans l’ensemble des ports européens, de la Flandres jusqu’à l’Espagne et le Portugal. On estime que l’Angleterre représentait un cinquième des exportations bretonnes. Mais nous disposons d’éléments attestant, par exemple, qu’en 1492, la moitié des bateaux du port d’Exeter étaient bretons.
À cette époque, les marins bretons étaient les rouliers des mers et la Bretagne apparaissait comme étant au centre de tous les États importants de l’époque : Espagne, France, Angleterre, Irlande et Pays-bas.
Cap Finistère : À contrario, les périodes de guerre et de blocus ont-elles provoqué des crises économiques dans notre région ?
Joël Cornette : Louis XIV et Colbert jouent un rôle considérable. Les « siècles d’or de la Bretagne », pour reprendre l’expression d’Alain Croix, s’achèvent à la fin du XVIIe siècle lorsque l’État royal impose des barrières douanières et augmente les taxes. 1675, avec la « révolte du papier timbré » des bonnets rouges, apparaît comme le point de rupture entre la période florissante des « Trois siècles d’or » (1380-1670) et les « Trois siècles de fer » (1870-1950).
En limitant le commerce avec ses partenaires commerciaux traditionnels qu’étaient l’Angleterre, l’Espagne et les Provinces-Unies, en raison de la guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697), Louis XIV a porté un coup fatal au commerce breton.
Cependant, on retrouve encore, à l’époque contemporaine, des signes de la singularité bretonne et de son ouverture sur le monde. J’en veux pour preuve quelques exemples comme le départ des marins de l’île de Sein vers l’Angleterre en juin 1940 ou les résultats des référendums européens de 1992 ou 2005 où les électeurs bretons se sont singularisés par rapport au reste de la France.
Article publié dans le cap Finistère n°1256 du 1er février 2019