Une occasion manquée. Voilà comment Jérémy MorvanVice-président en charge de la valorisation et de la prospective économique à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) juge la loi de programmation sur la recherche (LPR).
Cap Finistère : Pouvez-vous nous rappeler ce que représente la recherche à l’UBO ? En nombre de chercheurs et en domaines de recherche ?
Jérémy Morvan : Comme dans toutes les universités, la recherche représente la moitié de nos missions à côté de la formation. Il y a 730 enseignants-chercheurs et plus de 250 chercheurs hébergés relevant d’organismes de recherche (IFREMER, CNRS, INSERM) dans quatre domaines : Santé-Agro-matière, Numérique-mathématiques, Sciences de la mer et Sciences Humaine et Sociales. Ces chercheurs sont répartis sur les sites de Brest, Quimper, Plouzané et Morlaix.
Cap Finistère : Cette loi apportera-t-elle des moyens financiers supplémentaires pour la recherche ?
Jérémy Morvan : La loi de programmation sur la recherche (LPR) intervient à un moment où les indicateurs virent au rouge avec à la clé un décrochage de la recherche en France loin d’un objectif de 3% du PIB investi dans la recherche et développement (1% public + 2% privé) avec une réalité à 2,2% (0,7 + 1,5). Avec la LPR, on pourrait approcher les 0,9% pour le public à terme. Les spécialistes discuteront de l’impact du crédit impôt recherche sur le financement privé.
La LPR poursuit trois objectifs de financements supplémentaires. La motivation initiale est l’amélioration de la rémunération des scientifiques en France afin d’éviter une catastrophe suite à la dernière réforme des retraites : la rémunération d’un scientifique en France représente 63% de la moyenne des pays de l’OCDE en ppa et le régime indemnitaire est décroché du reste de la fonction publique à niveau équivalent. L’effort devenait urgent.
Viennent ensuite les conditions de travail avec une augmentation du budget de l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui finance les projets de recherche afin d’atteindre un taux de succès plus satisfaisant. Aujourd’hui, il est compris entre 13 et 15% (il a été inférieur à 10% : moins d’un projet sur 10 obtenait un financement) mais le seuil satisfaisant selon les expériences internationales est à 30%. C’est l’objectif de la LPR.
Enfin, la PLR améliore le financement des établissements en prenant mieux en compte les frais de structure : parc immobilier très vieillissant, contrôles répétitifs qui restent très élevés en France, maintien de la compétence scientifique entre deux financements sur projets, investissement dans les gros équipements qui sont le support de projets de recherche… sans parler de la formation sous-financée dans les universités, qui parent au plus pressé dans le contexte d’un pic démographique depuis près de 10 ans.
Cap Finistère : En quoi le statut des enseignants chercheurs est-il menacé ?
Jérémy Morvan : La LPR était discutée depuis de nombreux mois. Dans l’absolu, elle constitue une augmentation de la rémunération des scientifiques, qui permet de rattraper une partie du retard accumulé sur les standards internationaux et les autres corps de fonctionnaires. A priori, c’est plutôt un motif de satisfaction. Pourtant, l’insatisfaction commençait à poindre. La loi exagère l’effort financier. Il est réel mais il s’étale sur une durée anormalement longue, 10 ans contre 7 au maximum, avec l’effort le plus important repoussé aux dernières années, donc avec une garantie de réalisation faible. Le financement est également très concentré sur les financements par projet, à travers l’ANR. C’est un financement ponctuel, donc non récurrent. On rentre alors dans la question de la précarisation déjà importante de la recherche française, qui ne fait rien pour son attractivité (61% des contractuels de la fonction publique d’Etat se trouvent dans le périmètre des ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche). On pourrait aller vers plus de chercheurs mais contractuels.
Le coup final a été un amendement proposé au Sénat : un dispositif expérimental permettant à des candidats aux corps des enseignants-chercheurs de se dispenser de la qualification du conseil national des universités. Le CNU est une structure collégiale, nationale, composée aux 2/3 d’élus et d’1/3 nommés représentant les scientifiques par grandes disciplines. Le CNU a pour mission de « qualifier » c’est-à-dire valider la qualité d’un doctorat pour postuler à un emploi de maître de conférences, et la qualité du parcours d’un enseignant-chercheur plus expérimenté pour postuler à un emploi de professeur des universités. A charge ensuite pour les établissements de recruter dans le vivier national des candidats qualifiés. La LPR offre la possibilité aux établissements de recruter directement, sans passer par le CNU, ouvrant la porte à des pratiques de copinage ou à des « thèses » délivrées par des structures privées, dans le cadre d’une expérimentation pas du tout définie qui sera à la main du ministère. Le système était perfectible, notamment pour recruter des « stars » à l’international, mais stable. On aboutit à un déséquilibre riche de gros risques de recrutements contestables… pour une parole scientifique qui a déjà du mal à se faire entendre.
Cap Finistère : Aujourd’hui, de quoi ont besoin les chercheurs ?
Jérémy Morvan : La recherche est un écosystème. Il lui faut un équilibre général. La LPR est un effort sur la rémunération des scientifiques… qui a largement mis de côté la question de la rémunération des autres personnels qui font tourner l’administration, la formation, la finance mais aussi les laboratoires de recherche alors que les compétences sont là aussi de plus en plus pointues. Les financements de l’UE ou avec les industriels nécessitent des compétences qui touchent le droit public, le droit fiscal, le droit européen ou américain, pas toujours en français… sans parler du fond des dossiers qui sont de la recherche et de la technologie pures. Aujourd’hui, les universités vont devoir aussi gérer un problème de ressources humaines : les scientifiques seront mieux payés, pas les autres personnels dont les rémunérations décrochent aussi par rapport aux fonctionnaires des autres ministères. Les universités ne proposeront toujours pas des salaires et des conditions de travail qui permettent de construire un système en mesure d’aller chercher des financements les plus complexes et les plus significatifs. Au CNRS, il y a 32 000 personnels dont grosso modo 50% de postes dédiés à l’aide à la recherche, dans une proportion importante, des ingénieurs. A l’UBO, il y a 2200 personnels dont un petit millier de personnels non chercheurs où il y a beaucoup de contractuels, de catégories C… et surtout 20 000 étudiants à gérer. Le soutien à la recherche dans les universités (autant que dans la formation) est un vrai sujet pour… aider la recherche.
Un des grands regrets exprimé autour de la LPR est finalement ce qu’elle ne dit pas. Le système français est caractérisé par un système à deux vitesses. En formation, il y a les écoles et les universités. En recherche, il y a les organismes de recherche et les universités. L’Etat, largement peuplé de cadres issus des écoles, est incapable de produire un discours sur les universités et moins encore une stratégie pertinente pour elles. Dans tous les autres pays – notamment ceux qui réussissent – elles sont pourtant au cœur de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est sans doute ça le fond du problème : la poursuite d’un système qui se veut élitiste mais qui est coûteux, avec une performance très relative et des impensés de plus en plus forts sur la formation, la diversité et la promotion sociale et les équilibres territoriaux.
Article publié dans le Cap Finistère n°1334 du 4 décembre 2020
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