Dans la tête d’un jeune agriculteur
Que se passe-t-il dans la tête d’un jeune agriculteur ? Quels sont ses envies, ses ambitions, ses difficultés ? Pour répondre à cette question, Rémi Mer, consultant indépendant de Quimper, est allé à leur rencontre. Il présente leurs réponses, et ses analyses, dans un ouvrage intitulé « Dans la tête d’un jeune agriculteur, manger breton demain », aux éditions Skol Vreizh.
Cap Finistère : Comment est née l’idée de ce livre ?
Rémi Mer : Je suis fils d’agriculteur du Finistère-Nord et cela fait bien longtemps que je m’intéresse aux questions agricoles. Après avoir commencé ma carrière comme ingénieur agronome, j’ai repris des études de communication et mes travaux portaient sur les relations entre la société et le monde agricole. Cela fait un peu plus de dix ans que je travaille sur ce projet de livre. Au départ, je pensais plutôt écrire une lettre ouverte aux agriculteurs pour leur faire part de mes réflexions. Et, en lisant un certain nombre d’ouvrages, écrits par d’éminents universitaires, je me suis rendu compte que les agriculteurs n’avaient jamais le droit à la parole. J’ai donc voulu aller à la rencontre de jeunes agriculteurs en Bretagne, pour restituer leurs envies, leurs attentes, leurs espoirs... Ensuite, j’y ai ajouté mon point de vue pour instaurer une forme de dialogue.
Cap Finistère : Qui sont ces agriculteurs ?
Rémi Mer : J’ai sélectionné un échantillon d’une vingtaine d’exploitants, assez représentatifs des quelques 500 jeunes bretons qui s’installent chaque année. J’ai pris soin de rencontrer des hommes et des femmes, car celles-ci représentent un tiers des installations. J’ai aussi pris soin de rencontrer des bio et des conventionnels, des paysans en filières longues comme en circuits courts.
Cap Finistère : Comment voient-ils leur rôle au sein de la société bretonne ?
Rémi Mer : La fonction de l’agriculteur est de nourrir la population. Mais, parce que cette activité est ancestrale et que l’alimentation n’est pas une production anodine, ils ne sont pas des « producteurs » ordinaires. Ils produisent des biens, mais aussi des liens. Une partie du malaise actuel s’explique par la rupture de ces relations, pour de multiples raisons. Ce que nous mangeons ne peut pas venir de « nulle part ». De la même manière, l’agriculteur a besoin de savoir ce que deviennent son lait, ses porcs ou ses céréales. Sinon, nous avons des consommateurs et des producteurs aveugles ; les uns ne connaissent pas l’origine de leurs aliments et les autres ne savent pas à qui sert leur travail. Il est donc important pour les agriculteurs de travailler sur l’origine de leurs productions.
Ils doivent également répondre aux attentes de la société qui veut des aliments sains, élevés ou récoltés sans porter atteinte à l’environnement. Mais les consommateurs doivent aussi comprendre dans quel système économique mondial évoluent les agriculteurs qui, pour certains, s’endettent à hauteur de 500 000 euros pour avoir des installations aux normes.
Cap Finistère : Quel regard portent-ils sur le monde politique ?
Rémi Mer : La profession a traversé, et traverse toujours, des crises sévères. Les jeunes sont dans l’ensemble, très durs vis-à-vis des politiques qu’ils accusent de ne pas les comprendre. Il faut tout de même opérer une distinction entre le national et le local. Des initiatives, comme les projets alimentaires de territoires, sont de nature à permettre le dialogue entre la société et les agriculteurs et à renouer les liens dont je viens de parler.
Cap Finistère : Vous êtes donc optimiste pour l’avenir de l’agriculture bretonne ?
Rémi Mer : Oui. La Bretagne dispose d’atouts indéniables. Elle est une des principales régions agricoles d’Europe grâce à son climat tempéré, même avec le changement climatique et à la qualité de ses terres. En outre, il faut aussi tenir compte de notre potentiel humain, composé de productrices et de producteurs motivés, comme en atteste le nombre d’installations, mais aussi de chercheurs et de transformateurs. Ensuite, compte tenu des volumes de production, il n’est pas possible de voir cette activité disparaître. La Bretagne produit 58 % des porcs, 33 % des volailles et 21 % du lait français...
Les conséquences du réchauffement climatiques peuvent se révéler dramatiques dans certaines régions mais moins ici.
Cependant, si je crois que l’agriculture bretonne a un bel avenir devant elle, je redoute tout de même des crises sociales. Car, si la Bretagne enregistre le plus grand nombre d’installations, elle reste aussi une des régions où le taux de suicides des agriculteurs est le plus important. C’est là que doivent intervenir les politiques et les organisations agricoles, au niveau local, pour accompagner et soutenir les agriculteurs en difficulté.
Article publié dans le Cap Finistère n°1255 du 25 janvier 2019