En 1913, dans son fameux "tableau politique de la France de l'Ouest" André Siegfried dépeint la réalité politique de notre département. Il en ressort clairement que le Finistère ne constitue aucunement le bloc conservateur que certains imaginent et que l'enracinement de la gauche y est bien solide.
L'unité politique du département du Finistère est factice. A l'analyse des résultats et des comportements électoraux, on peut, assez facilement diviser le Finistère en 4 zones bien typées : le Léon clérical s'oppose aux Monts d'Arrée révolutionnaire et à la Cornouaille républicaine et anticléricale". Et "Brest la rouge" représente un îlot bien à part dans cet ensemble complexe.
"LE BERCEAU DE LA BRETAGNE REPUBLICAINE"
André Siegfried voit dans la Cornouaille "le berceau de la Bretagne républicaine". Et il explique ce phénomène en avançant deux raisons.
D'une part, la structure sociale. En effet dans le sud Finistère les nobles ont peu d'importance. Ils peuvent être nombreux mais n'ont aucune influence sur la population. "Dans l'ensemble (...) c'est le paysan qui possède la terre (...). Sur la côte 95 % d'hectares sont cultivés par les propriétaires eux-mêmes ; dans l'arrière pays de Quimper, la proportion ne descend pas au-dessous de 65 %".
Mais cette indépendance économique ne suffit pas à expliquer l'attachement des Cornouaillais à la république. A la différence des léonards, les Cornouaillais sont certes religieux de tempérament mais ne sont pas cléricaux. On tient au culte, à ses rites (...) mais que le curé ne prétende pas régenter politiquement sa commune, il risquerait à ce jeu de perdre son prestige ! (...)".
La Cornouaille tend naturellement vers la république mais l'intérêt matériel lui conseille la modération. Au début du siècle, on constate donc que les paysans les plus aisés se rapprochent des conservateurs. Mais dans le même temps, les couches sociales moins favorisées augmentent leurs ardeurs démocratiques. "Sous l'influence de Brest et des ports sardiniers, des courants socialistes commencent à fuser dans les campagnes" et André Siegfried cite "les campagnes de Quimper, de Fouesnant, où les journaliers, les ouvriers de ferme ne sont pas loin d'abandonner leurs anciens chefs républicains pour suivre les socialistes".
Mais l'ensemble de la Cornouaille ne présente pas les mêmes caractéristiques. Si cela est vrai pour la basse Cornouaille, la région de Châteaulin constitue plutôt une zone tampon avec le Léon, rassemblant les caractéristiques affaiblies des deux régions.
LE LEON : TERRE DES PRETRES
Le Léon s'oppose totalement à la Cornouaille : autant cette dernière s'ouvre aux idées progressistes, autant celui-ci reste hermétiquement cols aux propositions socialistes. Autant les prêtres Cornouaillais restent cantonnés dans leur rôle, autant les "recteurs" léonards interviennent dans tous les aspects de la vie politique et sociale.
Economiquement et socialement, le Léon ne se distingué guère de la Cornouaille ; la véritable différence réside dans le respect des léonards vis à vis du clergé : "tous les Bretons sont religieux ; le léonard lui, est clérical".
André Siegfried cite un certain nombre d'exemples qui démontrent la puissance du clergé : "les mariages se font souvent par eux et se feraient difficilement malgré eux (...) l'ingérence ne s'arrête pas là. Etayée par le refus d'absolution, cette arme terrible elle s'étend aux moindres détails de la vie (...). Et ceux qui sont ainsi mis à l'index voient la vie devenir pour eux singulièrement difficile, presque impossible".
Dans le Léon, les prêtres exercent véritablement le pouvoir et on a même pu parler des "circonscriptions ecclésiastique". Il est important de noter que c'est le clergé local qui détient la vraie puissance et non les prélats.
Jusqu'en 1896, ces prêtres choisissaient eux-mêmes leurs représentants au parlement, et leurs choix se portaient sur des prélats comme Mgr Freppel et Mgr D'Hulst.
En 1896, deux tendances apparurent : l'une suivit la politique de Léon XIII de ralliement à la République, l'autre demeure royaliste.
Pour la première fois en Bretagne, catholiques et royalistes présentèrent chacun leur candidat. Après une campagne Žpique l'abbé Gayraud l'emporta contre le comte de Blois, candidat de la noblesse.
Dans le Léon, "le parti républicain laïc, non clérical est politiquement inexistant" malgré la proximité de Brest. Mais André Siegfried note des évolutions dans les rangs du clergé : "des tendances démocratiques (...) se font jour chez les jeunes prêtres" note-t-il. Et concernant l'abbé Gayraud, il remarque que "si dans les questions politiques et religieuses, il s'est toujours classé avec la droite pure, ses votes sociaux se sont au contraire parfois inspirés d'un esprit qui n'est pas celui de la conservation sociale ; je note par exemple qu'il a voté l'impôt sur le revenu".
LES MONTS D'ARREE : UNE DEMOCRATIE RADICALE
Plus qu'avec la Cornouaille, le Léon s'oppose totalement aux Monts d'Arrée.
Deux éléments expliquent le caractère révolutionnaire des Monts d'Arrée. Dans cette région, tout d'abord, la petite propriété domine. Les paysans y possèdent un champ, parfois très petit, où ils cultivent le blé et élèvent parfois une vache. Les nobles sont quasiment inexistants en pleine montagne. 'Il s'agit d'une société de paysans égaux entre eux".
Mais contrairement à la Cornouaille et au Léon, la terre des Monts d'Arrée est pauvre et ne peut nourrir tous les habitants. De ce fait de nombreux habitants de
cette région doivent s'expatrier. Et c'est ce second phénomène qui explique l'identité politique des Monts d'Arrée : les contacts avec les villes sont importants et les émigrés ramènent avec les idées progressistes.
La noblesse et le clergé ont très peu d'influence sur cette communauté de paysans libres. André Siegfried raconte notamment qu' "au moment de l'application de la loi de séparation, les maires de plusieurs communes refusèrent de louer les presbytères aux curés (...) l'évêque voulut priver ces communes de leurs prêtres. Mais on sembla si bien s'accommoder de ce départ que l'autorité ecclésiastique revint bien vite sur sa décision".
Dans cette région les électeurs donnent des majorités énormes à la gauche : 80 % à Botmeur en 1895 ou même 94,5 % à La Feuillée en 1902.
En 1906 une scission s'opère entre les républicains simplement radicaux et les radicaux socialistes, représentés au Huelgoat par M. Nicol ; dans toute la montagne, la fraction la plus progressiste l'emporte avec 55 % à Botmeur, 72,3 % à La Feuillée et 75,7 % à Scrignac !
Dans le canton du Huelgoat, entre 1877 et 1910, le score de la gauche n'est jamais tombé en dessous de 58 % ; c'est probablement dans cette région qu'on découvre le comportement politique le plus éloigné de l'image ordinaire que la plupart des français se font de la Bretagne.
BREST LA ROUGE
A l'autre bout du département, Brest représente une enclave progressiste, à l'intérieur du Léon. Port de guerre, la cité du Ponant abrite un arsenal depuis Richelieu. Il s'agit au début du siècle de la seule industrie.
A Brest, l'autorité militaire fait face à l'armée des 5 ou 6 000 ouvriers de l'arsenal. Et entre l'aristocratie militaire et la classe ouvrière, la bourgeoisie est quasiment absente de la ville.
Aux élections municipales de 1904 trois listes se présentaient devant les électeurs : la première composée de 36 noms était conservatrice, la seconde composée de 24 noms n'était qu'une dissidence de la première ; en revanche, la troisième, avec 24 également était vraiment originale, constitués en grande partie d'ouvriers et d'employés de l'arsenal ( 13 sur 24) elle s'opposait nettement aux autres listes "bourgeoises".
La surprise fut énorme le soir du premier tour : 3000 voix pour la première liste, 2200 pour la deuxième mais 3600 pour la troisième.
Dans la précipitation, les deux listes "bourgeoises" fusionnaient tandis que la liste d'"action républicaine et sociale" se hâtait de trouver les 12 candidats qui manquaient. Au soir du second tour la gauche l'emportait avec 4800 voix contre 4200 à la droite. "Le drapeau rouge, l'Internationale saluaient cette victoire" note A. Siegfried. Aubert, ouvrier horloger fut élu Maire.
En 1908, la liste "républicaine antisocialiste" emporte les municipales mais aux législatives de 1910, Emile Goude est élu député en en 1912, Hippolyte Masson est élu Maire.
La conquête de l'arsenal de Brest par le socialisme a eu un impact dans l'ensemble de la Bretagne, mais paradoxalement les communes rurales du Léon, voisines de la cité du Ponant sont restées conservatrices.
L'influence est plus perceptible au loin. "Partout ou l'élément ouvrier, marin, prolétaire existe, l'action socialiste partie de Brest vient le toucher". Ainsi des militants brestois vont à Morlaix, Châteaulin, Huelgoat, Landerneau, Douarnenez ou Audierne pour développer le socialisme".
Après cette présentation de la carte politique au début du siècle deux conclusions s'imposent. D'une part, dès cette période, les réalités politiques du département étaient bien affirmées et si, dans le nord du Finistère la gauche parvient très difficilement à s'implanter ailleurs la SFIO remporte de belles victoire.
Par ailleurs, la tradition socialiste remonte, dans bien des régions très loin parfois dès la fin du XIXeme. Et si la ville de Brest représente un élément important dans le développement du socialisme, elle ne constitue pas le seul pôle progressiste du Finistère.
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